mardi 24 novembre 2009

Les petites filles et les loups

On vient de me prêter Leçons particulières d'Hélène Grimaud. La pianiste avec ses loups.

Et c'est drôle parce que la citation qui touche le plus dans mon Petit éloge des petites filles – et notamment qui touche le plus une autre Hélène – est tirée du livre Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés.

« C'est généralement quand les filles sont très jeunes – avant l'âge de cinq ans – qu'elles acceptent l'idée d'épouser le monstre. On leur apprend à fermer les yeux et au contraire à se livrer à des minauderies, qu'elles soient jolies ou non. C'est cette éducation qui pousse la plus jeune des sœurs à dire : « Au fond, sa barbe n'est pas si bleue que cela », cet apprentissage précoce qui demande aux femmes d' « être gentilles » et finit par se substituer à leur intuition. En ce sens, on leur apprend purement et simplement à se soumettre au prédateur. Imaginez une mère louve qui apprendrait à ses petits à « être gentils » en face d'un furet agressif ou d'un serpent à sonnettes ! »

Leçons particulières, à l'opposé, serait un apprentissage de l'autonomie et même d'une certaine sauvagerie. Hélène Grimaud met trop de mots dans chaque phrase, même dans les phrases courtes. Trop de trop grands mots. Mais son chapitre sur les petites filles me plaît beaucoup. Hélène Grimaud en parle vraiment très bien (elle qui a le nez et les yeux d'une poupée de mon enfance, sa parfaite beauté). Morceaux choisis :


 

« De quoi sont faites les petites filles,

Du sucre et d'épices,

Et de tout ce qui est bon.

Voilà de quoi sont faites les petites filles.


 

[…] De quoi sont faites les petites filles ? […] Je me revis petite, moi et ma fascination pour le sang, contemplant si près que je louchais le grain de ma peau, les bosses de mes articulations et le dessin des croûtes brunâtres. Je me revis courant seule le maquis corse et le trouble éprouvé à savoir mon corps dans le grand corps de la terre, accroupie, flairant mon odeur. »


 

« Il y a quelque de sorcier chez les petites filles : cette façon d'être feuille et fleur, ce frémissement à la vie. On les sent si proche du secret qu'on les sait complices avec a mort, elles l'invitent dans leur voile de communiantes, leurs dînettes de cérémonie et l'ourlet de leurs robes. »


 

« Les petites filles sont poreuses à l'au-delà, au dehors, au double, à l'ombre. »


 

« Le charme immense des petites filles, tendre et vénéneux, c'est qu'elles tirent de la nature leur vérité ultime. Leurs yeux voient, leur langue connaît le goût exact du sel et des groseilles. […] Elles vivent le monde par leurs sens, quand les petits garçons le vivent déjà par la guerre. »


 

« Ce pacte tacite avec la mort, les petites filles le tiennent pour talisman : parce qu'elles pressent que qu'il leur faudra très tôt rompre avec cette grâce incomparable de s'appartenir tout entières : très vite, le temps de trois gouttes de sang, la vie kidnappera leurs corps, les prendra en otages. »


 

« Je me souvins d'un seul coup de ce que je chantonnais, enfant, en Camargue, en bondissant dans les roseaux. 'Je ne veux pas devenir adulte inutile et notable'. »


 

Hélène Grimaud Leçons particulières,

éd. Robert Laffont, 2005

Pages 93-94


 


 

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