samedi 31 octobre 2009

« Cadeaux Bonus »


En réponse à mon Petit éloge, j'ai reçu en cadeau un livre de Jacques A. Bertrand : « La petite fille qui se souvenait d'avoir parlé avec l'ange » (Julliard, 1997 – tiens, la date de mon premier roman, V.O.). Merci, Jacques A. !

L'héroïne du roman a pour nom Louise et son héros, Grand Oncle. Celui-ci semble partager presque mot pour mot ce que je pense d'un « savoir spécifique » (interpersonnel et respectueux d'autrui) des petites filles.

« A vrai dire, ce n'était pas les facultés intellectuelles de Louise, ni même ses dons, si elle en avait, qui fascinaient l'oncle, mais bien plutôt, si l'on peut dire, l'extraordinaire simplicité de son intelligence. Sa capacité d'attention désintéressée, cette espèce de respect (exigeant) pour le monde.

- Son regard ouvre le monde, avait dit l'oncle. Je ne l'avais jamais aussi bien vu que depuis qu'elle le regarde. »

J'ai reçu un autre cadeau superbe et encore plus personnel : « Lalie » de Florence Delaporte. Comme c'est une nouvelle inédite et très personnelle, je choisis une citation aussi générale que possible pour ne rien trahir de l'histoire de Lalie, une petite fille africaine.

« Il y a des enfants en danger de mort à la naissance qu'on fait revivre en les posant immédiatement sur le corps nu de leur mère. On dit que les petits Africains ont un quotient intellectuel bien supérieur aux autres peuples de la terre jusqu'à l'âge de sept ans, parce que la plupart sont multilingues, parce qu'ils ont été portés longtemps contre leur mère, et parce que, lorsqu'ils galopent librement dans le village, chaque adulte se sent responsable de chaque enfant, et cela donne aux petits une telle assurance, une confiance en eux et en leur monde si forte, qu'ils développent une joie unique et particulière qui les rendrait capables d'apprendre n'importe quoi si on leur enseignait correctement. »


Et enfin, deux cadeaux précieux d'une autre nature.

Les avis sur mon livre de

Bénédicte Heim http://www.livres-addict.fr/Livres.html#almassy

et d'Angèle Paoli http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2009/09/des-petites-filles-qui-rient-dans-le-soleil.html


Merci.

vendredi 23 octobre 2009

Lettre d’intention

La petite fille a un rôle futur : elle devra mettre au monde des enfants, devenir mère. Dès avant sa propre naissance, dans ses ovaires, tous les ovocytes de ses futures ovulations sont là, toutes les périodes fertiles prédestinées. La société est en attente d'elle et projette fortement sur son enfance les exigences de ce rôle unique.

Biologiquement c'est encore comme ça. Mais il y a une vie à vivre. Et pour cette vie, cette existence dont on n'a qu'une par tête d'habitant sur terre, chacune la sienne, les petites filles (je veux dire les femmes) sont moins bien préparées que les garçons. Naguère le stéréotype voulait que les petits garçons jouent aux petits soldats et les petites filles aux poupées – pour remplacer par des bébés et encore des bébés et des bébés et des générations et des générations les hommes tombés sur les champs de bataille. Aussi bien !

N'empêche. Il faut se sortir de ces anachronismes. Pour que les petites filles puissent dire qui elles sont. Que leur identité (qui suppose identification – donc des modèles) soit établie dans toute sa richesse. Qu'elles ne soient pas éternellement destinées à l'autre, aux autres, à l'autre d'elles-mêmes.

Telle serait, écrite après coup et pour résumer, la « lettre d'intention » qui explique le pourquoi de mon livre.


lundi 12 octobre 2009

Fanny


L'héroïne du livre.

(Photo : D.R. reproduction interdite)
Posted by Picasa

La petite Jeanne de Victor Hugo




















Dans L’âge difficile d’Henry James il y a une phrase sur les jeunes filles. Elles sont comme des agneaux avec un ruban autour du cou qu’attendent, «dans leur avenir, les grands abattoirs de la vie ». En lisant les poèmes de Victor Hugo sur sa petite Jeanne, je me demande quels seraient les grands abattoirs qui l’attendent dès que de l’art du grand-père il ne lui resteront que la renommée et éventuellement la fortune pour comme protection.

« Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,

Etant femme, se sent reine ; tout l’ABC

Des femmes, c’est d’avoir des bras blancs, d’être belles,

De courber d’un regard les fronts les plus rebelles,

De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,

Un sourire, éblouir les cœurs les plus profonds,

D’être, à côté de l’homme ingrat, triste et morose,

Douces plus que l’azur, roses plus que la rose ;

Jeanne le sait ;

elle a trois ans, c’est l’âge mûr :

Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,

Ma contemplation,

mon parfum, mon ivresse ;

Ma strophe, qui près d’elle a l’air d’une pauvresse,

L’implore, et reçoit d’elle un rayon ; et l’enfant

Sait déjà se parer d’un chapeau triomphant,

De beaux souliers vermeils, d’une robe étonnante ;

Elle a des mouvements de mouche frémissante ;

Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts,

Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;

Elle est de droit céleste, et par devoir jolie ;

Et son commencement de règne est ma folie. »

Ça commençait bien. D’être autant femme aussi tôt, le chemin était tracé : plaire puis pleurer. Du divorce de Jeanne, « la petite-fille d’Hugo d’avec le fils de Charcot », on peut même trouver en ligne la page d’annonce dans le New York Times du 16 février 1905 comme si elle était d’actualité. Ses autres mariages n’étaient guère plus heureux, avec Léon Daudet d’abord, avant donc Jean Charcot, et enfin avec Michel Négreponte (1872-1914) capitaine de l'armée hellénique, mort dans un grand abattoir s’il en est. Enfin, la petite Jeanne aura au moins réussi cela qui n’est pas donné à tout le monde : épouser en troisièmes noces son premier amour.

Bonus et scènes coupées 2

Un jour, j’ai commis une hybridation entre Tristesse d’Olympio et Les Malheurs de Sophie, et cela, naturellement, pour le jeu papou des homophonies approximatives. Le début « Que peu de temps suffit pour changer toutes choses » ayant été imposé par Françoise Treussard (mais ça en dit tellement long sur les petites filles, qui changent plus vite que n'importe qui), j’ai essayé d’injecter dans le texte hugolien (tout ce qui est en romain) un minimum de motifs séguriens (en italique) pour opérer le morphing. Il ne me restait plus qu’à donner un titre.

Malheur à la tristesse !

par

le conteur et la comtesse :

Hugo, de Ségur

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses »
Petites filles modèles, comme vous vous oubliez,
Et comme vous brisez de vaisselles dans vos métamorphoses
Ces âges mystérieux où cœurs et colères sont liés !

Vos chambres en champs de bataille sont changées ;
L'écureuil tant aimé est mort et renversé;
Vos roses tant adorées ont été ravagées
Par vous, petites filles sauvages qui sautez le fossé.

Un mur clôt la fontaine où, un jour, par l'heure échauffée,
Folâtre, vous bûtes de l’eau glacée en sortant des bois ;
Vous en versâtes à pleins seaux sur la tête, mauvaise fée,
Et laissâtes tomber dans le puits une baguette de vos doigts !

On a pavé votre route, qu’est-ce qu’on l’a aplanie,
Quand, dans le sable pur vous peigniez, dessinant si bien,
Avec le doigt étalant vos talents, il faut de l'ironie,
Or le rire paternel rit jaune à côté du mien !

[Homophonie intermédiaire de

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses »]

"Que peut Maman ? Sophie, pour manger toute chaude"...

... la soupe au dîner, elle peine à s’asseoir,

On échoue aux plans qu’on échafaude,

Car elle ignore ses leçons quand vient le soir.

N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne rendra notre Sophie à nos cris superflus ?
Elle enterre sa poupée au moment où je pleure ;
Ma chère fillette me regarde et ne me reconnait plus.

D'autres vont maintenant passer où nous passâmes.
En haut d’une armoire, d’autres vont y venir ;
Sophie grimpe avec ses amies, deux braves âmes,
Elles ébauchent la descente sans pouvoir la finir !

D’autres jours, autres périlleuses retraites.
Bois, cabanes, ruines, lieux inconnus.
Châteaux de sable où des empreintes indiscrètes,
Creusent le sol qu’ont touché leurs petits pieds nus.

Une petite fille prépare son jour d’anniversaire,

Encore elle se réveille au même point du rêve,

Car personne ici-bas ne termine et n’achève…


... « Que peut attendre Sophie pour ranger cette chaise ? »


Bonus et scènes coupées 1




Picasso

Les quatre petites filles de Picasso, c'est une pièce en six actes, «terminée un vendredi 13, à Vallauris, en août 1948 ». On ne joue guère cette pièce que coiffée de l'épithète « injouable ». (Avignon, 2008, Festival off, Cie Théâtre du Piémont des Vosges/le Nid d'Andlau, mise en scène de Jaromir Knittel, « Les Injouables, Textes rares, baroques, inconnus pour certains jugés et réputés injouables », dont aussi l'autre pièce de Picasso, Le désir attrapé par la queue.) Petite fille I, petite fille II, petite fille III, petite fille IV chantent, jouent, parlent, parlent, il n'y a aucun autre enjeu dans cette pièce que d'être, passer du temps au jardin potager.


Petite fille IV

Allons courir comme des folles, et emportons avec nous toutes les fleurs, les blondes et les brunes, les douces et les amères, les tendres et les dures […] Allons courir, jouer, faire les folles (dansant :) – folles – folles – folles – folles – folles – folles – folles – folles…


Petite fille II

Et qu'on est bien ici et qu'on est bien à la campagne, au soleil, fondues au milieu de sa panse, jouant, jouant et rigolant, au soleil rempli de mûres, le soleil plein de rubans, plein de cailloux, plein de cornets de glace. Allons toutes rire et chanter et faire dinette.


Petite fille IV

Apporte tes morceaux de verre de couleur et l'os de seiche qui servira de plat.

(Acte premier, page 24)


Picasso les peint en mots, ces petites filles, il peut les faire parler en chœur, elles annoncent leur statut existentiel avec une parfaite justesse philosophique : « nous sommes contentes, contentes à lier demain, surlendemain, aujourd'hui et hier ». Elles disent : « La vie qui passe a fait dans mes draps ». Elles disent : « Allons à la guerre, guerre de chez soi ». Elles disent surtout : « La vie est belle, cachons-nous d'elle ».

Esthétisme et érotisme, je dirais même du « psycho-esthétisme » :


Petite fille II

Nous sommes couvertes de lumière.


Petite fille IV

Nous sommes salies de lumière.


L'érotisation de la petite fille mise en lumière, fétichisme du regard :


Petite fille I

Arrachons tous ces yeux de nos robes ou cachons sous nos mains ces regards.


Car les petites filles sont regardées dans nos sociétés, des regards d'hommes s'attachent à leurs robes (et à leur nudité, comme le regard de l'inévitable révérend Dodgson : Michel Leiris rapproche le puits au milieu du potager de ces quatre petites filles au terrier de lapin d'Alice). Ce regard qui avant tout les idéalise et les fige en stéréotype d'innocence : « Mais la grosse question est de savoir si je suis absolument blanche, en marbre, en duvet de cygne, en papier blanc de fil pur et couverte entièrement de neige… » (Petite fille II)

La réponse à la « grosse » question de la blancheur pure sera non dans Les quatre petites filles à qui Picasso en fait voir – et sentir, à coups de poing, à coups de gong, en synesthésie – de toutes les couleurs : « Le bleu dirige la pointe de son manteau bleuté azuréal, indigo, cobalt, bleu ciel, prune, sur le bras étendu du jaune citron, vert amande et pistache, cerclant le mauve frappé de deux poings par le vert de l'orange et la nappe à raies bleu roi et bleu pervenche éclatant confondus à ses genoux et tout acidulé arc-en-ciel du blanc bandé de l'arc les pieds mouillés dans le vert émeraude, funambulesques coups de gong frappé à mort parmi les écheveaux d'œillets et des roses si trémières » (Petite fille I).

L'ambiguïté fantasmatique pur/sale est omniprésente. Elle se mêle de la question vivant/mort. Des fossoyeurs passent (leur rôle sur scène reste symbolique et muet), c'est carnaval et


Petite fille II

La grosse tarte aux cerises est pleine de mouches. Si vous ne voulez pas goûter, je la mange entière, entière, et vous pourrez après pleurer, pleurer et me battre.


Au Quatrième acte (page 72), le même jardin au clair de lune, déploie tous les fantasmes animaliers autour des petites filles (qui dansent nues), ça va du cheval blanc à l'aigle et au hibou, en passant par la case de l'Oncle Tom (eh oui), tandis qu'une « petite chatte tenant dans sa gueule un canari saute d'une branche à l'autre et [que] la neige commence à tomber ». Ce à quoi on assiste, c'est « l'arbre du bien et du mal mis au feu des enchères » (Petite fille IV), rien moins. Quatre « nouvelles Ève » malgré elles, un des leitmotive de ce Petit éloge des petites filles, celui de la connaissance, ce quesavent les petites filles, et la surenchère des générations. Didascalie de Picasso : « les quatre petites filles prennent le serpent et s'en servent comme d'une grande faux … »

Une sexualité explicite (telle qu'imaginée par un homme) est constamment présente, à peine déguisée par la métaphore des motifs floraux et des contes. On reconnaît si on veut la Belle au bois dormant, version Basile :


Petite fille IV

Je voudrais avoir une robe de soie d'or violette brodée d'argent, cousue de perles, de jasmins et de fils de la Vierge, bordée de branches de mimosas, d'héliotropes, de narcisses d'œillets, d'épis de blé et ma tête entourée de flammes voir entre les ronces livrer l'amour au carnage […].


Amour et carnage que les trois autres petites filles (la IV étant la meneuse) développent à l'aide d'une panoplie de stéréotypes romantiques tels que linge trempé de larmes, lit défait, persiennes, mensonge, destin, fosse commune, jeux d'adresse, bal masqué, et finalement, tout un « lac endormi en sursaut d'Ophélies ».

Un texte tellement symptomatique de ce qu'on pense que les petites filles font. Tandis que le père, lui, reste encré dans « le principe de réalité » :


Petite fille IV


Aujourd'hui le dix-sept du mois de mai de l'année mil neuf cent quarante-huit, notre père a pris son premier bain et hier, beau dimanche, est allé voir à Nîmes une course de taureaux avec quelques amis, mangé un plat de riz à l'espagnole et bu aux éprouvettes du vin à œnologie.

(Quatrième acte, page 84)


Curieusement, Picasso reviendra encore deux fois dans le présent livre, après l'écrit, pour la sculpture (Petite fille sautant à la corde, 1950) puis pour la peinture (Les Ménines, 1957).


*


Sauf que non, au montage final, Picasso n'a pas trouvé sa place – faute de place – dans ce Petit éloge.


Les Quatre Petites Filles, pièce en six actes, Gallimard 1968